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Les estampes numérisées du site Mémoire des Hommes

Le site Mémoire des Hommes, le portail culturel du Ministère des armées, présente depuis fin 2020 un ensemble de 550 estampes numérisées provenant du fonds du musée de l’Armée. Cinquante artistes y sont représentés. La variété des œuvres présentées est soulignée dans une page de présentation de cette collection

La numérisation a été réalisée avec soin et les œuvres peuvent être consultées en haute définition en utilisant la visionneuse du site (environ 5000 x 4000 pixels suivant la taille de l’image).

L’affichage propose, par défaut, une pagination de 25 estampes par page. Trois critères sur liste déroulante permettent de filtrer les résultats : l’auteur, la technique (eau-forte, lithographie etc.) et un champ dénommé ensemble thématique qui reprend les intitulés des albums d’estampes1.

Nous vous proposons ci-dessous un tableau de tous les artistes ordonnés suivant l’importance de leurs œuvres dans ce fonds numérique. La majorité des estampes est due à des artistes français mais on trouve également des dessins produits par quelques artistes étrangers (moins de 10%).

Dans les premiers rangs de ce tableau, se situent Lucien Jonas et Georges Scott, deux artistes officiels dont les œuvres proposent une représentation traditionnelle du fait militaire. Tous deux furent particulièrement prolifiques afin de fournir, notamment, de nombreuses images aux revues de l’époque.

Tous les liens textes et images renvoient vers le site Mémoire des Hommes

« Tirailleurs algériens », 1917
Georges Scott
© Ministère des armées / Mémoire des Hommes

Scott a réalisé vers 1917 une série de cinq fascicules intitulée Le soldat français pendant la guerre contenant chacun cinq grandes reproductions. Scott est un artiste étonnant : il est influencé par l’enseignement d’Édouard Detaille, caractéristique de l’art officiel dans la plus grande tradition, mais il sait s’en écarter, dans des compositions souvent élaborées (« Tirailleurs algériens »), pour laisser transparaître la dureté de la guerre dans une silhouette (« L’éclopé »), un regard (« A la baïonnette »), ou un geste (« Deux blessés »), atteignant parfois une grande sincérité suscitant l’émotion (« Tirailleurs à Verdun »).

On se réjouit de trouver aussi la présence significative de Jean Veber. Il a participé en 1914 à l’effort de guerre des dessinateurs et illustrateurs : certains de ses dessins fameux décrivent les atrocités allemandes et l’ignominie de l’invasion. Par la suite, ses sujets évoluent. Dans ses dessins mettant en scène les poilus, le combattant n’est pas un héros. Son travail peut proposer une touche d’humour (« Les marmites ») mais que ce soit « Les hommes de soupe » ou « La cagna » ou encore le très poignant « Mamey, le 22 septembre 1914 », les soldats apparaissent abattus, courbés voire blessés. Son style est très reconnaissable : ses scènes favorisent souvent le mouvement, la rondeur sans aucune surcharge. Ses quelques hachures façonnent un relief discret. Son crayon est léger. C’est le cas dans cette estampe de 1918 intitulée « La gloire ». Une économie de traits, très peu d’ombre comme si la clarté du dessin devait servir celle du message : quatre années de guerre ont passé, il n’y a plus de gloire et de héros, seulement une jeunesse sacrifiée et, toujours, la mort qui épie.

« Le sergent », 1918
Auguste Lepère
© Ministère des armées / Mémoire des Hommes

« With the tunnellers near Nieuport »
William Dyson
© Ministère des armées / Mémoire des Hommes

Avec Auguste Lepère, on quitte le rendu détaillé du dessin lithographié. Graveur sur bois admiré2, il compose des scènes à l’éclairage savant façonnées par les oppositions de blanc et de noir (« Le G.V.C. », « La mine »). Son inspiration l’amène souvent vers les allégories ou les scènes pittoresques mais il semble intéressé, par ailleurs, par la représentation de la violence immédiate et ses effets : « Les francs tireurs », « La torpille » ou « Observateur ».

Il est émouvant de voir ici les rares lithographies de Rémi Peignot tué à 27 ans à Carrency en 1915 comme furent tués aussi ses trois frères issus de cette famille de typographes renommés. Il aime les vues larges de paysages dans lesquelles il place, pour certaines, des hommes en guerre en mouvement (« Sans titre »). Il travaille le clair obscur avec précision (« La Guitoune du QG ») et n’hésite pas devant un point de vue audacieux pour mettre en situation le spectateur (« Le poste d’observation »).

L’artiste étranger le plus représenté est l’illustrateur australien William Dyson. Ses dessins sont marqués par la grande proximité qu’il installe entre ses personnages et le spectateur. Peu de paysages ou de points de vue larges mais plutôt des scènes traitées avec de forts contrastes et montrant de petits groupes de soldats au repos (« Preparing the Brazier », « The misery of rest camps ») ou à la tâche ( «With the 2nd Australian tunnellers near Nieuport », « The Dynamo, Hill 60 »).

« Batterie du 112e, artillerie lourde »
Léon Broquet
© Ministère des armées / Mémoire des Hommes

« Poste de secours de 1ère ligne en France »
Claude Shepperson
© Ministère des armées / Mémoire des Hommes

On retrouve les grandes eaux-fortes de Léon Broquet, peintre officiel, qui choisit souvent de représenter le soldat sur le champ de bataille : au combat (son « Tir de barrage » est impressionnant), comme guetteur (le très réussi « Guetteurs devant Prunoy ») ou cherchant à echapper à une fusée éclairante (« Patrouille surprise par la fusée »). De nombreuses scènes ont d’ailleurs lieu la nuit, ce qui permet à Broquet de traiter ses compositions en clair obscur.

Jean Virolle a dessiné un ensemble de vingt linogravures autour du thème de la mort, intitulé La danse macabre. Ces œuvres ne sont pas contemporaines de la Grande Guerre car elles datent de 1942. On y découvre la mort toujours épiant le soldat, que celui-ci soit au combat (« A l’affût ») ou en permission (« La permission »).

Comme Virolle, quelques artistes ont choisi un registre satirique avec, pour certains, aussi une inspiration allégorique. On peut se référer au tableau ci-dessous qui propose une classification de tous les artistes présents. La plupart des dessins s’inscrivent toutefois dans une veine documentaire soulignant des aspects de la guerre parfois peu représentés comme cet ensemble intitulé L’effort et l’idéal de la Grande-Bretagne qui regroupe les dessins de sept artistes britanniques : Hartrick pour Les femmes au travail, les dessins très réalistes de Kennington pour Comment on fait un soldat, Nevinson qui dessine la Construction des appareils aériens, Charles Pears Le transport par mer, Clausen La fabrication des canons, Rothenstein Le travail de la terre et, enfin, Shepperson qui dessine en six étapes le parcours d’un soldat blessé depuis le poste de secours en France jusqu’à sa convalescence en Angleterre.

Le tableau rappelle la classification à laquelle le critique Noël Clément-Janin s’était essayé en 1919 3.

« Le vieux prisonnier »
Denis Claudius
© Ministère des armées / Mémoire des Hommes

Dans ce fonds, il faut mettre en lumière le travail minutieux d’Auguste Brouet qui compose des eaux-fortes de grande qualité autant d’un point de vue technique que par son style d’inspiration réaliste presque naturaliste sur certaines planches. Il a étudié les maîtres flamands : c’est assez évident pour « Les pêcheurs » où de très nombreux détails amenés par la pointe sèche viennent enrichir son dessin et façonner ainsi un très beau paysage bucolique. Brouet a beaucoup dessiné les artistes du cirque et les petits métiers. Ses soldats ne sont pas des va-t-en-guerre. En mouvement, ils semblent peiner à tirer leurs corps trop lourds ou trop grands (« Les troupiers en marche », « les G.V.C. ») et au repos les voilà affairés à des occupations peu glorieuses (« La corvée de pommes de terre ») ou plongés dans leurs pensées autour d’un feu (« Campement à l’arrière »). Grace à une résolution élevée, et même si cela ne remplace pas le rendu et l’observation attentive d’une estampe réelle, il est possible d’étudier les détails travaillés par l’artiste et de deviner ainsi les gestes du graveur.

Tout à fait différente est la quinzaine d’eaux-fortes réalisée par Claudius Denis dans un camps de prisonniers allemands. L’intérêt est tout à la fois artistique et documentaire. Il met en scène des petits groupes de prisonniers aux nationalités diverses (« Le thé chez les russes », « Les belges ») et dessinent une réalité bien âpre qu’il observe dans ces camps : « Les affamés », « Les contagieux », « Les malades », « Les punis » etc. Sa technique de gravure se base sur des contours bien définis pour ses personnages ce qui lui permet, par exemple, de créer un contraste entre les silhouettes claires des uniformes russes et le reste de la composition. Ses ciels sont souvent menaçants : de légères stries créent comme un fin brouillard (« Les cuisines du camp »), un réseau plus anarchique de traits évoque des nuages bas (« Le repos ») ou l’aquatinte vaporeuse dessine des nuages d’orage (« Vous devez saluer »).

On retrouve la lithographie avec Henri Desbarbieux qui loin de Verdun (voir notre article sur cet ensemble exceptionnel de gravures) compose un album de douze planches consacrées à Nos blessés, nos infirmières traité de façon humoristique. Un peu à part, la composition « Distractions » et ses poilus cabossés offre une belle scène d’émotion.

On pourrait mentionner encore d’autres planches qu’il faut admirer comme ce poilu sous la pluie (« Les poilus ») de Louis Abel-Truchet, les planches d’Henry de Groux, visions noires, ténébreuses, macabres dessinées d’un trait épais et charbonneux comme « Les massacres » et enfin, pour s’éloigner de motifs militaires, les belles eaux-fortes (comme « Place du Vardar », par exemple) que Jacques Touchet a ramenée de Macédoine.

NOTES

1. Attention, lors de la navigation sur plusieurs pages, un affichage aléatoire intempestif semble se produire.

2. « La science de l’artiste est merveilleuse. On comprend, à regarder ces planches, tout ce que la qualité d’une gravure ajoute au sujet, à l’idée, au dessin, à la composition. » in Les estampes, images et affiches de la guerre, Noël Clément Janin, Gazette des Beaux-Arts, Paris, 1919, p. 18

3. Ibid

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