Une tranchée

Journée lente, lourde, terrible de monotonie et d’appréhensions. Le soleil de midi tape ferme et accentue encore la torpeur. Des moments de sommeil, j’ignore de quelle durée. Mes compagnons m’offrent du pain et du ‘singe’; comme il abonde, je l’accepte pour ménager mes rares provisions et mange à même la boîte; c’est épouvantablement sec : on m’explique que la boîte est ouverte depuis déjà longtemps, car elle a été prise hier soir sur un mort, le ravitaillement n’ayant pu avoir lieu. Mes oreilles se sont faites au bombardement, qui, par un hasard heureux, nous épargne presque toute la journée et ne s’exerce guère qu’en arrière de nous, ce dont je ne me soucie plus. De temps à autre, je glisse un coup d’oeil au dessus du parapet et ne vois toujours devant moi que la masse vert sombre des bois que tiennent les Boches, et la partie inclinée du terrain qui descend vers le ravin où se cache le village de Tahure. C’est bien ça la guerre : du silence, coupé de sonorités brutales; pas trace de vie; les seules formes visibles à l’horizon sont des formes inertes.

Jacques Meyer, La Biffe, 1928

GEORGES SCOTT

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LE THÈME DE LA TRANCHÉE

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