Ma dernière vision de la guerre

14 heures … Le sergent fait un signe … En avant ! (…) c’est drôle, je n’ai plus peur. Je me sens l’esprit lucide, le corps dégagé. La minute me paraît soudain d’une tranquillité, d’une douceur singulière (…) Le silence est si grand que l’on entend une voix chantonner quelque part, dans la plaine. Ma dernière vision est celle d’un champ de coquelicots dont la couleur, écarlate, devant moi, ondule comme une flamme. Comme le mur ennemi parait éloigné (…) Un bref sifflement, une balle boche. Puis ce sont sept ou huit boîtes jaunes qui arrivent sur nous, comme des pierres, pas plus vite. Cela ne donne même pas l’impression d’un danger. A l’explosion fracassante seule je me rends compte que ce sont des pétards allemands. Tout se brouille en moi comme autour (…) Je vois, comme des ombres, mes camarades tombés ou courbés (…) Ce qui est poignant, c’est ce grand silence qui retombe. En combien de secondes tout cela se passe-t-il ? Je ne sais …

L’Argonnaute, journal des tranchées, mai 1916

LÉON BROQUET

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