
est un jeune homme au regard pénétrant qui pose en 1911, dans son uniforme du 144ème régiment d’infanterie de Bordeaux. Un homme en devenir admis à l’École Normale de la rue d’Ulm promis à une belle carrière brillante d’universitaire ou d’enseignant.
En 1914, il ne lui reste plus qu’une année d’études avant de passer l’agrégation. Mais la guerre survient. Le destin de sa génération bascule.
Genevoix arrive au front à la fin du mois d’août comme sous-lieutenant au 106ème régiment d’infanterie stationné à Châlons-sur-Marne. Fort d’une très bonne résistance morale et physique1, il fait face aux épreuves mais comme pour beaucoup de jeunes soldats la découverte de la guerre moderne est brutale en ces premiers mois meurtriers. Dès les premières semaines du conflit, il note dans ses carnets, sa guerre au jour le jour. Matière riche et vivante qu’il retravaillera in situ en recopiant ses carnets, en les faisant lire et en les envoyant à ses correspondants2.
Sous Verdun, premier des cinq ouvrages de Maurice Genevoix qui constitueront en 1949 Ceux de 14, parait en avril 1916.
Blessé de trois balles un an auparavant, le jeune normalien passe seize mois en convalescence.
Invalide à 70%, il est réformé et se consacre alors, jusqu’à la fin du conflit, au sort des orphelins de guerre en entrant au service de la fraternité franco-américaine.
Censuré3, Sous Verdun n’en est pas moins un succès et c’est toujours à partir de sa correspondance et de ses carnets que Genevoix fait paraître Nuits de Guerre en 1917, Au seuil des guitounes en 1918, La boue en 1921 et Les Eparges en 1923.
Les Eparges, hauteur dominant la plaine de la Woëvre, à proximité de la Meuse, est pour le jeune homme de vingt-quatre ans, le lieu de son expérience extrême de la guerre.
La dureté des conditions de la vie au front en première ligne en hiver, la puissance dévastatrice de l’artillerie qui déchiquète, coupe, tranche l’affectent de façon indélébile. Pourtant le lieutenant du 106ème, malgré des périodes difficiles, reste un homme qui garde les yeux ouverts : d’abord sur ses hommes qu’il mène avec une autorité bienveillante, sur la nature qui continue à l’émerveiller dans ses moindres nuances, sur la fraternité d’arme et l’amitié dont il fait l’expérience avec Robert Porchon, sur l’indécence de certains officiers qui ignorent la valeur de la vie humaine.
Cette sensibilité et un sens de l’observation affuté sont les qualités premières d’un récit tiré au cordeau, sans posture ni effets.
Respectant la chronologie initiale des carnets, l’ensemble formé par Ceux de 14 s’étend sur une période de neuf mois. Un temps à hauteur d’homme avec ses répits, ses exaltations et ses dépressions. Un début de conflit particulièrement meurtrier sur lequel Genevoix reviendra en 1972 dans un court récit La mort de près : “Je suis resté sur la ligne de feu comme sous-lieutenant d’infanterie, puis lieutenant, puis commandant de compagnie, du mois d’août 1914 au soir du 25 avril 1915. Séjour relativement bref, si l’on compte chronologiquement ; long séjour, plus de la moitié de la guerre, si l’on prend comme référence le chiffre proportionnel des morts”.
Dans son ouvrage Témoins, Jean-Norton Cru écrit : “Il a su raconter sa campagne de huit mois avec la plus scrupuleuse exactitude, en s’interdisant tout enjolivement dû à l’imagination, mais cependant en ressuscitant la vie des événements et des personnes, des âmes et des opinions, des gestes et des attitudes, des paroles et des conversations. Ces dialogues si nombreux, qui ne peuvent pas avoir été notés en sténographie et que l’on pourrait déclarer fictifs sont en réalité une de ces réussites merveilleuses qui font penser au génie.”

As-tu jamais songé aux autres morts, ceux que nous n’avons pas connus, tous les morts de tous les régiments ? Le nôtre, rien que le nôtre, en a semé des centaines sur ses pas. Partout où nous passions, les petites croix se levaient derrière nous, les deux branches avec le képi rouge accroché… Et dans le même temps, d’autres régiments dont chacun laissait derrière lui des centaines et des centaines de morts. Conçois-tu cela ? Cette multitude ? On n’ose même pas imaginer… Et il y a encore tous ceux que les guimbardes ont cahotés par les routes, saignant sur leurs litières de paille, ceux que les fourgons à croix rouge ont emmenés vers toutes les villes de France, les morts des ambulances et les morts des hôpitaux. Encore des croix, des foules de croix serrées à l’alignement dans l’enclos des cimetières militaires… Mais j’entrevois un malheur pire que ces massacres… Peut-être, ces malheureux seront-ils très vite oubliés… Tais toi, écoute : ils seront les morts du début de la guerre, ceux de 14. Il y en aura tellement d’autres !
1. Paul Dupuy écrit “jolie vigueur morale” (rapporté dans Correspondance Maurice Genevoix – Paul Dupuy, La Table Ronde, 2013). Genevoix montra de belles qualités de gymnaste durant un stage au bataillon de Joinville en 1912 ; Genevoix lui-même écrit dans La mort de près : “J’étais alors au plein de ma forme physique, endurci aux intempéries, aussi agile et maître de mes muscles que je l’avais été à Joinville, avec en plus la robustesse que m’avaient apportée les années. Cette rencontre [celle d’un officier blessé à mort] m’avait permis de mesurer aussi une résistance mentale accrue.”
2. Quelques pages numérisées des carnets et feuillets de Maurice Genevoix sont présentées sur le site centenaire.org. L’ouvrage déjà cité Correspondance Maurice Genevoix – Paul Dupuy présente en annexe les feuillets du journal jusqu’à la date du 9 septembre 1914. Dans Une Jeunesse éclatée, éditions du Mémorial, 1980, Gérard Canini revient sur la genèse de Ceux de 14 à partir de l’étude de ces carnets.
3. On peut se reporter à Écrits de Guerre 1914-1918 de Nicolas Beaupré, CNRS éditions, 2013 pour consulter un relevé des passages censurés en 1916. Par ailleurs, l’édition de 1924 chez Flammarion rétablit les phrases et les passages en question qui apparaissent en italique.
Ceux de 14 fait l’objet d’une réédition chez Flammarion : Ceux de 14 de Maurice Genevoix – Flammarion Octobre 2013 – 950 pages. Préface de Michel Bernard, dossier de 90 pages établi par Florent Deludet (blog : ceuxdu106.over-blog.com)
Concernant l’actualité autour de l’œuvre de Maurice Genevoix, on peut visiter le site de l’association Je me souviens de Ceux de 14 créée par sa fille Sylvie Genevoix.
Le site de l’INA propose à l’occasion du centenaire de 1914-1918 de réécouter les émissions de radio diffusées en 1964 que Jacques Meyer (l’auteur de La Biffe) avait réalisé à partir des écrits de Maurice Genevoix.
France 3 a produit une adaptation en six épisodes de l’œuvre de Genevoix réalisée par Olivier Schatzky avec le jeune comédien Théo Frilet dans le rôle de l’auteur (première diffusion octobre 2014).