correspondance_dupuy_genevoix_une_2

Correspondance, M. Genevoix-P. Dupuy

Lorsque la guerre éclate en août 1914, Paul Dupuy est secrétaire général de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm à Paris. Il a 58 ans. Esprit progressiste, ardent dreyfusard, proche des étudiants, il leur demande, à leur départ pour le front, de lui écrire le plus souvent qu’ils le pourront afin de préserver le lien avec la vieille maison.

Genevoix a 23 ans. Il est élève à l’École normale depuis 1911. Premier de sa promotion, auteur d’un mémoire apprécié sur Maupassant, il est également un esprit joyeux : « On aimait tant votre gaîté naturelle, dont le rayonnement par dessus vos camarades, se faisait sentir jusque chez les vieux refroidis de l’administration. » (p. 267).

paul_dupuy_correspondance

Les affinités entre les deux hommes vont s’affirmer à travers la correspondance qu’ils vont échanger dès fin août et grâce aux notes rédigées par Genevoix dont Dupuy va être un lecteur attentif (« Il n’y a jamais un mot de trop dans vos notes et il n’y en a pas un seul qui n’évoque une image. » – p. 134). Comme l’écrit Michel Bernard dans sa préface, « Dupuy écrivait remarquablement bien1, il était un intellectuel et presque un artiste mais dès les premiers envois de Genevoix, il s’inclina et reconnut avec une admirable simplicité la supériorité du jeune écrivain ».

Le vieux professeur cherche à réchauffer le cœur de son correspondant en lui faisant lire l’expression de son attachement : « Heureux de me sentir un échange d’affection si profond avec vous » (nov. 14 – p. 53), « Puisse mon affection vous aider à garder intacte cette jolie vigueur morale que j’aime tant en vous » (déc. 14 – p. 90), « J’appuie mon cœur au vôtre mon ami » (déc. 14 – p. 95) et cet émouvant passage : « Je remplis mon cœur de vous et de tout ce qui tient à vous, je le serre de mes deux mains, pour que lui non plus ne faiblisse pas et ne batte pas trop vite; et c’est en moi-même, en communion de tendresse et de force à la fois, que je vous rends le baiser que vous m’avez donné. » (févr. 15 – p. 198).

correspondance_dupuy_genevoix_notesC’est que Genevoix ne cache pas à son vieil ami ses déceptions (« il y a des moments où je me sens exaspéré par cette attente de chaque jour » – p. 46), son expérience déshumanisante de la guerre (« ma sensibilité est assommée : les spectacles ignobles qui se succèdent sans trêve me laissent froid » – p. 31), sa lassitude (« La bonne humeur ne règne guère chez nous : est-ce la lassitude grandissante de tous ces hommes qui ont vu leurs camarades tomber ou disparaître et qui reçoivent des obus et des balles sans y pouvoir rien ? » – p. 46) et son cafard (« Hier, aujourd’hui j’ai voulu me donner cette joie de penser de toutes mes forces à ceux que je ne vois plus. J’ai appelé tous mes souvenirs, je me suis donné à eux; et me voici courbaturé et meurtri de leurs assauts innombrables » – p. 114).

Genevoix souffre avec pudeur et sa souffrance appelle le réconfort et la compassion de Dupuy. Ce réconfort sera matériel avec des envois d’oreiller, de gilet et de nourriture mais aussi d’ordre social car Dupuy transmet à ses correspondants des nouvelles des autres normaliens mobilisés. Il sera surtout affectif. Paul Dupuy, qui a son propre fils à la guerre, et qui au fil des mois voit les élèves de l’École normale tomber au feu, s’inquiète pour Genevoix tout en étant sincèrement heureux de la « mâle amitié » qui l’unit à Robert Porchon.

Les lettres de Maurice Genevoix du 23 février et du 13 mars 1915 relatent des événements qui hanteront l’écrivain toute sa vie. Ils nourriront son œuvre maîtresse Ceux de 14 consacrée à la guerre et réapparaîtront tardivement dans La mort de près.

Le témoignage des combats y est terrifiant. Et le besoin de réconfort plus explicite : « L’obscurité ce soir, est peuplée des visages blêmes de ceux qui sont morts. Plus jamais. Plus jamais. Soyez tout près, ma détresse vous appelle mon ami. » (p. 222) La réponse de Paul Dupuy est une des plus belles lettres de cette correspondance. Celle-ci s’interrompt au lendemain de la blessure de Genevoix en avril 1915. Dupuy va alors chercher à rejoindre Maurice Genevoix. Dans les mois qui suivront, il l’aidera à surmonter son épreuve et l’incitera à reprendre ses notes et sa correspondance afin de terminer Sous Verdun, qui sera publié, avec son aide, en 1916. Les deux hommes resteront liés jusqu’à la mort de Dupuy en 1948.


1. Paul Dupuy est l’auteur de deux ouvrages consacrés à l’affaire Dreyfus: Le petit bleu et Le général Rouget.
correspondance_dupuy_genevoix_miniCorrespondance, Maurice Genevoix – Paul Dupuy, de août 1914 à avril 1915, éditions La Table Ronde, préface de Michel Bernard.

Les commentaires sont fermés