e 22 août 1914 fut pour l’armée française la pire journée de son histoire puisqu’on estime à 27 000 le nombre de tués et portés disparus en quelques heures de combat dans ce qui était encore une guerre de mouvement. Jean-Michel Steg a fait de ce jour néfaste son sujet d’étude. Comme Stéphane Audoin-Rouzeau le rappelle dans sa préface, ces journées meurtrières de fin août semblent sorties de la mémoire collective au profit de la bataille de la Marne qui fut accueillie début septembre comme un miracle.
C’était avant les tranchées.
Cette journée du 22 août, l’auteur en explique le déroulement. Le récit de ces pertes effroyables laisse le lecteur effaré. Le principe de “l’offensive à outrance” très ancré dans la culture militaire française est rappelé ici. A propos de l’utilisation des fusils par la troupe, l’auteur écrit : “Du côté français, des éléments matériels comme idéologiques orientent plutôt la formation vers l’entrainement au maniement et à l’usage de la baïonnette. Cela correspond mieux à une doctrine militaire d’offensive à outrance qui valorise l’offensive, la charge et le corps à corps. L’élan et la bravoure sont censés défaire la puissance de feu.” (p 101)
Ce système de pensée va mener les officiers guidant leurs hommes à s’exposer au feu d’un ennemi invisible et à payer ainsi un lourd tribu. Dès les premières heures de ce 22 août, les pertes sont considérables. Les troupes françaises progressent sur un terrain vallonné et boisé face à des positions allemandes bien installées. Jean-Michel Steg consacre un chapitre détaillé à cette journée et analyse dans le reste de l’ouvrage le contexte particulier de ce moment 14 comme l’appelle Stéphane Audoin-Rouzeau.
L’esprit du plan XVII de Joffre est rappelé et opposé à son pendant allemand, le plan Schlieffen. Des pages très instructives sur l’armement et l’organisation des armées et sur l’entrée en guerre des belligérants apportent un éclairage précis. On découvre un Joffre peu communiquant, ne comprenant pas le plan d’opération allemand et ne tenant pas compte des premiers retours du terrain. On découvre également des troupes qui contrairement aux allemands sont peu entrainées à établir des positions défensives retranchées et qui, en conséquence, reculent de façon désordonnée à découvert avec de lourdes pertes.
Dans les Ardennes, le 22 août, les combats ont lieu sous un soleil accablant après une matinée de brouillard. La troupe et ses officiers sont épuisés suite aux marches et contremarches de la veille. Mal renseignées, les armées françaises vont être engagées dans des “batailles de rencontre” et, contrairement aux allemands bien informés par des uhlans très mobiles, être incapables de réagir en conséquence. La chaîne de commandement française longue et peu efficace aura pour effet d’exposer les hommes trop longtemps et de multiplier les assauts inutiles face à des positions ennemies de tirailleurs et d’artillerie.
Dans son chapitre consacré à la bataille des Ardennes, l’auteur est très explicite : “Du côté français, ce qui frappe, c’est la très fréquente incompréhension initiale de la nature de l’obstacle rencontré (…) De plus, la réponse tactique est toujours stéréotypée : pas de reconnaissance supplémentaire, pas de déploiement de précaution d’artillerie. On envoie d’abord un régiment d’infanterie, baïonnette au canon, bousculer l’obstacle. Et quand il échoue, on en envoie un autre et ainsi de suite.” (p155).
Sans lien mémoriel particulier avec cette journée, Jean-Michel Steg expose dans un avant propos tout à fait bienvenu et sympathique son parcours et son intention. Il faut lire aussi ses pages de conclusion qui relatent son “pèlerinage” sur ces terres de Belgique où reposent tant de soldats français fauchés quelques jours seulement après leur arrivée sur le front. Un hommage sensible et très touchant.
Le jour le plus meurtrier de l’histoire de France, 22 août 1914 de Jean-Michel Steg, préface Stéphane Audoin-Rouzeau, Fayard