n historien de renom remonte rarement aux sources de son intérêt pour sa période de prédilection tout en révélant une part de son histoire personnelle. Stéphane Audoin-Rouzeau s’est consacré, depuis trente ans, à éclairer la dimension humaine de la Grande Guerre : les soldats et leur mentalité, les enfants et la guerre, le deuil, la violence… Accompagnant la naissance de l’Historial de la Grande Guerre, il a participé à une nouvelle historiographie du conflit en veillant à lui donner une dimension transnationale.
Ses positions sur la mentalité des hommes engagés dans la guerre ont été critiquées, notamment, par les historiens du CRID14-18 qui ont placé le témoignage des combattants au cœur de leurs travaux. Le soldat de la Grande Guerre a tenu face à l’horreur parce qu’il y consentait, qu’il savait que c’était son devoir et qu’il défendait son pays ou parce qu’il y était contraint, encadré, surveillé et réprimé au premier faux pas ?
Ces deux conceptions, avec leurs résonances politiques et régionales, ont participé à modifier le champ de vision du conflit.
“Le devoir pour les combattants ne se discutait pas”, l’auteur le réaffirme ici à la lumière de son histoire familiale.
Quelle histoire est un récit assez sobre, personnel, tout à la fois très intime et distancié. Les deux grand-pères de Stéphane Audoin-Rouzeau ont participé à la Grande Guerre. L’un dans le génie, l’autre, Robert, son grand-père paternel, dans l’artillerie lourde. Dans les années quatre-vingts, lorsque le jeune historien porte son choix de période d’étude sur la Première Guerre mondiale, ses aïeux ont disparu depuis longtemps. C’est alors le grand-père de sa femme qui lui fournira “un capital inestimable d’expériences et de souvenirs”. Les passages du livre rapportant ses récits sont des moment parfois cocasses. Mais il ne faut pas s’y tromper : la figure centrale de ce ‘récit de filiation’ est le père de l’auteur, Philippe Audoin. Intellectuel, cultivé, adepte du surréalisme, fréquentant André Breton, il fit peu de cas de l’expérience du conflit de son propre père. A presque soixante ans – l’âge auquel son père et son grand-père ont disparu – Stéphane Audoin-Rouzeau raconte une histoire familiale où la souffrance causée par l’échec et la déception a provoqué une fracture chez ces deux hommes et les a finalement emportés. C’est par cette mise en lumière que s’achève ce récit en des lignes très touchantes. Et c’est par des mots définitifs que l’auteur revient sur les thèmes de ses travaux en les chargeant de sens et en adressant (peut-être) un adieu à la Grande Guerre.
Quelle histoire. Un récit de filiation (1914-2014). “Hautes Études”, EHESS, Gallimard/Seuil, 2013
Photo de Une (originale) : collection de l’auteur