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Saisons de guerre, Gabriel Balique, L’Harmattan, 2012

Les huit carnets de Gabriel Balique sont parus en 2012 aux Éditions Harmattan sous le titre Saisons de guerre – Notes d’un combattant de la Grande Guerre, août 1914 – décembre 1918.
Les carnets originaux furent détruits par les allemands en 1940 mais une retranscription, faite par l’auteur lui-même, les a sauvés d’une complète disparition.

Son petit-fils, Nicolas Balique, journaliste, introduit ce texte et l’accompagne de notes et documents.

gabriel_balique_portrait_1Gabriel Balique a vécu les quatre années de la guerre pendant laquelle il a tenu ces carnets, y mêlant son parcours, ses pensées, ses espoirs et ses doutes.
Originaire de Solre-le-Château dans le Nord et issu d’une famille de pharmaciens, il est âgé de vingt-trois ans et étudiant en droit, lorsque la guerre éclate.

Datés et localisés avec précision, ses notes témoignent de sa vie de soldat, d’élève officier, d’officier d’infanterie puis d’aviateur.

Incorporé en août quatorze, il effectue sa formation à Terrasson en Dordogne puis au camp de la Courtine d’où il sort caporal. Peu motivé au départ, il devient pourtant aspirant. Puis plus tard, en août 1917, il obtiendra son second galon de lieutenant.

Entre Oise et Aisne

Au printemps 1915, Balique prend la tête d’une section à la 5è compagnie du 417è R.I. fraîchement formé. Marcel Étévé, le jeune normalien auteur des “Lettres d’un combattant” (Hachette, 1917), vient d’être nommé au même régiment en tant que sous-lieutenant. Rapidement, Balique connaît son baptême du feu en occupant les premières lignes face aux allemands dans ce secteur, entre Oise et Aisne, éloigné des grandes offensives de 1915 (“Nous vivons en ce moment plus en Champagne qu’ici car notre pensée s’envole vers ces milliers de héros qui, au prix de leur sang, essaient de nous faire une victoire plus prompte et plus belle.”, p. 65).
Montée en ligne, repos, cantonnement, exercices se succèdent. Aux tranchées, ce sont tirs, mitrailles et attaques localisées qui coûtent la vie à de nombreux hommes. En fin d’année, l’hiver s’installe et les conditions de vie se durcissent : le froid et surtout la pluie et la boue font leur apparition (“Toujours dans un océan de boue à Confrécourt où plusieurs hommes de la 7è compagnie qui rentraient de première ligne ont dû être dégagés par les prisonniers tant ils s’enfonçaient.”, p. 80).

Verdun

Balique s’inquiète pour sa famille, ses chers trois : sa mère, son père et son jeune frère Francis nouvellement mobilisé et qui, laissant leur maison de famille en zone occupée, se sont installés à Fontainebleau.
En 1916, il est affecté au 220è R.I. après une permission qui lui cause, au retour, un cafard noir (“Je dois avouer que j’ai un cafard terrible, moi qui ne connaissais pas encore cette vilaine bête.”, p. 88). Son premier secteur est la Marne et à la première opération qu’il doit mener, il rédige son testament. Puis en septembre 1916, il est envoyé à Verdun. Un saut dans l’enfer :

“Oh mon Dieu, quel spectacle que cette carrière ! Déjà, en route, nous avions vu des choses inimaginables, de celles qu’on ne voit qu’à Verdun et dans la Somme, mais là, c’est complet ! Imaginez une carrière de petite dimension. Au milieu, une colline de macchabées avec, en bas, une centaine de blessés et d’agonisants. En voulant nous mettre à l’abri, nous sommes forcés de marcher sur les corps raidis. Des sentiers ont dû être tracés à travers cette colline humaine, cette Babel de cadavres arrosés de chaux et en décomposition d’où exhale une odeur épouvantable.” (p. 98)

Le contraste est fort entre ces jours d’horreur et ceux qui leur succèdent suite à une blessure pour laquelle il est soigné à Chaumont d’abord puis envoyé en permission. Il s’en explique avec sincérité (“Surtout, pendant cette triste période, ne demandez pas à un poilu de la réflexion, du sérieux, de la suite dans les idées, de la vertu ou de la religion. Vous pourrez le faire plus tard.”, p. 102 et plus loin “En se fermant à un aveu d’amour, en se faisant violence d’un côté, le cœur du poilu cherche presque inévitablement à s’étourdir de l’autre. De là vient le changement de conduite et une recherche de la jouissance sous toutes ses formes, de celles qui auraient pu paraître scandaleuses en temps ordinaire à des consciences sévères.”, p. 102). Combats intimes.

Fin 1916, Balique est au Bois-le-Prêtre. A cette période, le secteur est calme d’où l’ennui et le cafard qui réapparaissent. Et la haine (nuancée) des embusqués ! (“Comme le disait un camarade “on est toujours embusqué à un moment donné par rapport à quelqu’un”, p. 115 – suivi d’une liste complète de tous les embusqués possibles de l’état-major aux cuistots). Cependant l’action est bien présente. Elle prend la forme de coups de main souvent meurtriers de part et d’autre.

De l’infanterie à l’aviation

gabriel_balique_portrait_2A l’été 17, le régiment prend position dans l’Aisne sur le Chemin des Dames (“On sent que le secteur, sans être aussi mauvais qu’il a pu l’être, n’est pas encore stabilisé.”, p. 141). L’occupation de la zone se fait sous les tirs incessants d’obus et Balique mène ses hommes à l’attaque plus d’une fois. A la fin de l’année, il reçoit sa deuxième citation et, en décembre, le régiment est dissous.

C’est au 330è R.I. que le lieutenant Balique est affecté. Il occupe le secteur du bois de la Chapelle dans la Marne (“Nous y sommes maintenant depuis treize jours, avec la perspective d’y rester une quinzaine encore. Cela sera un record, appréciable du reste, au moins pour la tranquillité.”, p. 160) mais en janvier 1918, il fait une demande pour rejoindre l’aviation (“Je quitterai l’infanterie avec bonheur pour beaucoup de raisons car on en aurait soupé à moins, mais si ça ne réussit pas, je n’en ferai pas une maladie (…).”, p. 158).

Entre formation de commandant de compagnie, permission puis, suite à l’acceptation de son dossier pour l’aviation, formation d’aviateur, le début de 1918 se déroule loin des combats pour le jeune lieutenant.

En avril 1918, commence sa nouvelle vie d’aviateur, sa vie de prince des huées. Avec ses compagnons il forme “une bande de garçons, jeunes d’âge et encore plus jeunes de caractère, les yeux droits et francs, des yeux qui n’ont jamais eu peur, sauf du mensonge (…) et pour qui se souvenir et espérer sont deux grands mots, mais des mots seulement, car plus que tout cela, pour eux demain est ce qu’on ne veut pas connaître, et aujourd’hui suffit toujours.” (p. 165). Mais la déception est au rendez vous car le novice manque de maîtrise et ne se sent pas en sécurité dans les airs. Malgré ses effort, son envie s’émousse et en août, il quitte l’aviation en retournant au même régiment, le 330è R.I. Gabriel Balique revient à l’infanterie au moment où les grandes offensives alliées sont lancées. C’est à cette période que les nouvelles venant de son frère s’amenuisent pour disparaître et laisser place à l’inquiétude. Puis à la terrible nouvelle de sa mort au combat en juillet.

Le lieutenant Balique retrouve l’Aisne où des combats meurtriers ont lieu en octobre. Souffrant de la grippe espagnole, blessé au pied par un barbelé en novembre, c’est avec soulagement que Balique accueille, comme beaucoup, la nouvelle de l’armistice. Ses souvenirs de guerre s’achèvent en décembre 1918.

Ce même mois, il retrouve avec émotion sa maison de jeunesse et sa ville de Solre-le-Château. Un épilogue touchant nous raconte sous forme de retour à la vie, sa renaissance dans le sud de la France. Enfin, ces souvenirs s’achèvent par la retranscription d’un discours de 1957 nous montrant un homme en qui le souvenir de ses camarades reste fort et qui affiche, en même temps, sa foi en l’avenir.

Un jeune homme sincère

Balique est un jeune homme un peu frondeur (“Il faudra que je réprime mes nerfs, car, certains jours, comme c’est le cas aujourd’hui, j’enverrais tout au diable.”, p. 19), parfois désabusé (“Le dégoût du métier militaire s’impose et la situation devient insupportable lorsque l’on songe que nous sommes traités moins bien que des chevaux”, p. 19) mais conscient, en 1914, de sa chance d’avoir réchappé à l’hécatombe des premiers mois :

“Deux mois de combats à peine et déjà tant de veuves et d’orphelins, tant de fiancées en deuil, de parents consternés. Et l’on est si bien ici, et l’on doit être si mal là-bas. Là-bas, c’est le fracas des armes, la mort qui rode, qui tourne et qui frappe. Ici, un rayon de soleil suffit à dissiper les soucis comme les nuages. Là-bas, tout n’est que carnage, monceaux de ruines et dévastation.” (p. 18)

Son journal nous livre ses pensées contradictoires faites parfois de luttes intimes :

“J’ai soupé chez madame Layer, amie de la famille, où seule la timidité m’a empêché de faire une bêtise. J’en suis content même si, je l’avoue, je ressens à présent un certain regret. Je dois avouer en effet que je subis en ce moment une crise sous ce rapport et que ma capacité de résistance diminue chaque jour. (…) Je sens maintenant toute la force et l’impétuosité des passions au point que par moment, je ne me reconnais plus.” (p. 27)

et de doutes concernant, notamment, la religion :

“Mais au fait, pourquoi donc cette idée de Dieu m’est-elle devenue moins familière qu’avant ? J’en connais plusieurs qui éprouvent le même égarement que moi ce qui, loin de me rassurer, m’invite, au contraire, à m’interroger davantage encore.” (p. 80)

Foncièrement patriote (“Je prends ici l’engagement de faire tout ce que je pourrai, plus encore que par le passé, pour la France, la chère France, qui a le droit d’exiger de nous jusqu’à la dernière goutte de notre sang.”, p. 87), il juge parfois sévèrement les actes et décisions de ses supérieurs (“Face aux mesures stupides et sans raison, à ces ordres indiscutables, quoique contradictoires, à ces commandements absurdes, on en arrive au classique «je m’en fous !»”, p. 19).

Fier de sa position que lui donne son rang social et son éducation, il revient souvent et courageusement sur le possible sacrifice de sa vie et écrit sur sa propre mort des mots lucides et pénétrants.

C’est un grand attrait de ces carnets que de pouvoir partager, cent ans après, les élans de sincérité de ce jeune homme qui avoue, pourtant, dans son épilogue en 1919, à propos de la “mise au net” de ses notes : “J’en ai recopié une partie seulement : on a le tort d’être trop bavard parfois” ! Malgré cette autocensure, on trouve dans ce carnet des idées, des opinions, des audaces d’expression qui en font un témoignage plein de vivacité et de parler vrai.


gabriel_balique_couv_3Saisons de guerre, Notes d’un combattant de la Grande Guerre, août 1914 – décembre 1918, Gabriel Balique, documents présentés par Nicolas Balique, Ed. L’Harmattan, 2012

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