Il faisait d’ailleurs une soirée orageuse, énervante, menaçante…

c’était un petit renfort pour une compagnie du front. Seulement, avec Gaspard, même une poignée de vingt hommes prend tout de suite belle allure.

Il était au premier rang, à côté de son troisième grand ami, et de nouveau il s’en allait vers la bataille, d’un pas bien cadencé, avec un air goguenard. — Mousse, qui ne savait pas se donner une attitude, écoutait curieusement battre son cœur en marchant, et il s’étonnait que cette petite ville médiocre, où il venait de vivre tant de journées lamentables, devînt soudain pour lui quelque chose d’important, qu’il avait presque presque peur de ne revoir jamaisLe soleil se cachait dans une mauvaise brume rousse. L’air bouchait les poitrines au lieu de les remplir, et le soir qui tombait avait quelque chose de pesant et de fatal. Les hommes ne parlaient pas, gorge angoissée, oreille tendue.
(…) On entendait les souliers ferrés battre une cadence rapide ; et toute cette troupe d’ombres aux silhouettes cocasses, avec les fusils maigres et les sacs enflés, – toute cette troupe filait, trottait, dans un bruit d’armes, de souffles et de piétinements, qui était à la fois redoutable et effrayé.
(…) – Puis cinq secondes après, sans l’avoir entendue, le régiment se trouva nez à nez avec une autre troupe, quelques milliers de soldats d’active, qui, en gémissant, s’en revenaient du feu. Dans quel état ! Ah ! cette fois ce n’était plus la guerre de loin ! On la croisait, on la frôlait, encore plus horrible dans la nuit qui donnait de l’ampleur au drame et à la misère ; car ce qu’on rencontrait là, ce n’était plus une armée, mais un fouillis d’hommes blessés, fourbus, boitant, se traînant, dont on apercevait les linges tachés de sang autour des membres ou bien des fronts.

Extrait du chapitre III