Tous les liens textes et images renvoient vers le Musée numérique des musées de Reims
Le Musée numérique des musées de Reims propose depuis 2020 la consultation en ligne de plus de 18 000 œuvres parmi lesquelles 13 000 sont conservées par le musée des Beaux-Arts ; musée dont le site physique, en travaux, est fermé jusqu’en 2025.
Il faut, tout d’abord, évoquer l’interface très plaisante qui est proposée à l’internaute : polices de tailles confortables, présentation qui permet une identification rapide de la hiérarchie des informations, couleurs séduisantes. La lisibilité et le plaisir sont au rendez-vous pour une belle expérience de navigation qui peut même devenir ludique grâce à la très haute définition permettant d’examiner — presque à la loupe — certaines œuvres.
On peut juste regretter l’impossibilité de choisir le nombre de résultats par page (bloqué à vingt), bien utile lorsque les résultats de requêtes sont volumineux.
Le musée des Beaux-Arts (principalement) conserve un ensemble d’œuvres graphiques produites pendant la Grande Guerre et provenant de la collection Lemétais, du nom d’un ingénieur civil, formé au dessin industriel, qui constitua cet ensemble en un délai très court à compter de 1916.
La collection Julien Lemétais comporte 2 000 dessins originaux et environ le même nombre d’estampes et images ; quelques œuvres peintes y sont également présentes. Elle a été acquise en 1971 par la ville de Reims auprès des filles de l’ingénieur.
Cet ensemble est le deuxième plus important de cette nature après celui présent dans la collection des époux Leblanc cédée à l’État en 1917 et qui servit à la création de la Bibliothèque-musée de la Guerre (dont La contemporaine est l’héritière).
1179 œuvres numérisées provenant de la collection Lemétais sont présentes dans le Musée numérique. La numérisation des dessins originaux a été favorisée par rapport aux estampes. Sur les cent quarante six artistes présents dans la collection, quatre-vingt-quinze sont représentés. Parmi eux, une vingtaine s’inscrivent dans une veine satirique. Certaines de leurs œuvres sont mises en valeur dans une exposition thématique intitulée Caricatures de la Grande Guerre.
On trouve, par ailleurs, dans cette collection des dessins originaux d’artistes qui ont combattu pendant la guerre, une caractéristique plus marquée que dans la collection Leblanc constituée plus tôt et incluant de nombreux artistes de l’arrière. Comme nous l’apprend Marie-Hélène Montout-Richard dans un article consacré à cette collection1, Lemétais avait dans ses connaissances des artistes-combattants comme Jean Lefort ou Jean-Jacques Berne-Bellecour.
Pour sélectionner de la façon la plus pertinente les œuvres de la collection, il convient de choisir « Ajouter un critère de recherche » et de sélectionner le champ « Collectionneur » qui propose une liste de valeurs dont « Lemétais, Julien ». Une fois les 1179 notices sélectionnées, il est possible d’appliquer de nombreux filtres dont le nom de l’artiste ou la technique (estampes ou dessins).
NE MANQUEZ PAS
Les compositions à l’encre et au lavis d’Eduardo Benito : il fut l’un des artistes qui réalisa, comme Guy Arnoux, des images populaires à grande diffusion dans les premiers temps de la guerre mais les œuvres présentées ici ont peu de rapport avec cette production (sauf « Un des héros de Beauséjour »). Benito a 23 ans en 1914 et vit en France depuis quelques années. Étant de nationalité espagnole, il n’est pas mobilisé. Durant les années de guerre, le style de son dessin s’affirme sous l’influence d’un cubisme modéré. Ses personnages gagnent en rondeur et ses images contrastées sont colorées par grands aplats (on trouve dans cette veine les illustrations du bien nommé Reims colorées au pochoir). Même s’il vit loin des combats, le jeune homme se sent concerné par la vie des soldats. Certains dessins de cette époque s’attachent à évoquer leurs souffrances : celle liée à l’éloignement des siens — il réalise une série de lithographies mettant en scène des poilus et des enfants et une composition poignante en triptyque, sur le départ des soldats de chez eux, intitulée Alea Jacta Est — mais aussi la souffrance due à la confrontation à la mort.
À propos de ce thème, il réalise en 1917 une série de gravures sur bois remarquable aux motifs dramatiques et même poignants intitulée Ecce Homo. Onze compositions de ce recueil sont présentées ici dans des versions dessinées à l’encre et au lavis. Comparés aux gravures où seuls le noir et le blanc — le vide et le relief — apparaissent et appuient l’évocation funèbre, les dessins semblent plus abordables car lumineux et moins abrupts. On ne peut toutefois pas se tromper : la mort est présente ou évoquée dans toute cette série qui reprend des motifs iconographiques chrétiens. C’est là deux soldats qui ensevelissent un camarade (« ensevelissement ») : la stature massive de chacun d’eux s’oppose au poids mort du tué dans une scène où l’infinie tristesse de l’un, figé dans une quasi posture de pietà et s’apprêtant à faire glisser le corps, transparaît aussi chez son compagnon qui détourne la tête de ce spectacle. C’est ailleurs un soldat qui se recueille devant un cadavre (« L’homme mort ») ; ailleurs encore un « sous bois » qui cache des croix de bois et où trois poilus s’apprêtent à creuser de nouvelles tombes. Quand la mort n’est pas directement représentée, la finitude de la vie est évoquée : que ce soit par la représentation du début de l’existence dans « La mère » ou par la figure d’une mater dolorosa qui dans « Le conscrit » ne semble rien ignorer du destin funèbre de son fils insouciant.
Enfin, on peut évoquer « L’appel des morts » dont le sujet est tout à fait saisissant. La photo du dessin proposée par le site manque, hélas, de contraste. Opposée à son pendant gravé, elle gagne en lecture. On peut voir, là aussi, dans la composition une influence des représentations religieuses : construction pyramidale distribuant les personnages autour d’une figure centrale, ascension des deux poilus morts, blessures bien visibles soulignant le martyr enduré. Le poilu de droite tient la main de son compagnon et dans un geste de compassion, qui évoque aussi la tendresse, penche la tête sur sa main. Ce même personnage tend la main au soldat de gauche, en pleurs, expliquant ainsi le titre du dessin. On peut noter, curieusement, dans un dessin réduit à l’essentiel, la présence pour chaque personnage de plaques d’identité apparaissant au cou ou au poignet.
Les dessins de Charles Emmanuel Jodelet qui fut mobilisé dès 1914 et blessé en 1915. Son style proche de certaines illustrations de presse est tout en simplicité. Il compose des scènes parfois assez élaborées ( « Groupe de soldats dans une tranchée » ) et souligne, ce qui n’est pas si fréquent, que les soldats passent du temps à attendre, s’ennuyer et discuter ( « Cinq soldats français dans une tranchée » , « Tranchée du Fond de Buval » ). Son dessin le plus marquant représente un soldat âgé enfoui à mi-corps dans une eau boueuse ( « La boue » ) cadré de près, les yeux au ciel et visiblement désespéré.
La série de dessins à la plume de Jean Galtier-Boissière, lui aussi artiste-combattant même s’il fut avant tout écrivain et journaliste-combattant (pour rappel, il est l’auteur de En rase campagne suivi de Un hiver à Souchez parus en 1917 et le fondateur du journal des tranchées Le Crapouillot). Son dessin peut parfois paraître rudimentaire mais ses compositions sont assez fascinantes. Plusieurs scènes semblent se dérouler la nuit ( « Souchez, vue de butte », « Brancardiers » ou « Ravitaillement » ). Son utilisation du lavis d’encre lui permet de créer des atmosphères vaporeuses, sombres voire ténébreuses parfois. Le rendu est ainsi très organique. On peut penser à son ami Luc-Albert Moreau qui dans ses œuvres d’après guerre a pris la même direction stylistique. La technique qui lui permet de représenter les explosions a trouvé l’adhésion de Philippe Dagen, l’auteur du Silence des peintres, qui écrit : « Il veut fixer la seconde de l’explosion, quand la terre se soulève, quand débris et cailloux volent en l’air. Il a, pour cela, recours à un procédé simple : il jette sur le papier humide des gouttes d’encres épaisses. En tombant, elles projettent des gouttelettes et se rejoignent en un nuage obscur (…) Galtier réussit des « instantanés » photographiques sans user d’un appareil ( « Éclatement d’obus I », « Éclatement d’obus II » ).
Les dessins de Georges-Edouard Darcy méritent qu’on s’y arrête. Une première veine réaliste témoigne de son expérience : voyez cette scène où deux poilus masqués donnent l’alerte aux gaz en utilisant leur fusil et une énorme cloche. Un autre style s’impose avec la série de vingt illustrations originales mêlant aquarelle, fusain, encre et parfois rehauts de gouache datées de 1917 (« Le bled derrière le fort de Vaux », « Verdun (une rue) » ou « Une gare de ravitaillement »). La ligne claire et les teintes grises dominent. La couleur est discrète. Darcy effectuera après la guerre une partie de sa carrière dans les arts décoratifs.
On a évoqué les eaux-fortes naturalistes d’Auguste Brouet présentées sur le site Mémoire des hommes. On en dénombrait seulement sept, elles sont ici cent soixante treize (!) mais la liste comporte de très nombreux doublons. Il n’y a, en fait, que vingt huit compositions différentes car les pages qui défilent sont remplies de multiples épreuves de la même matrice ce qui, pour l’internaute, n’a aucun intérêt et handicape la lecture. Ceci précisé, voyez « Le brasero » ou « Le parc automobile », leur composition complexe, la disposition des personnages souvent groupés et la belle camaraderie qui s’en dégage. Si les eaux-fortes de Brouet vous intéressent, il vous faut visiter le site qui lui est consacré et qui présente d’ailleurs les numérisations les plus réussies de ses gravures.
Certains dessins accompagnés de leurs diverses versions d’estampes issus de l’album 24 estampes de guerre de Georges Bruyer. Ces dessins, assez populaires et très accessibles ont été présentés lors de l’exposition consacrée à l’artiste en 2021 par le musée de la Grande Guerre de Meaux. La série complète peut être consultée sur le site de la bibliothèque numérique de Roubaix (voir sur notre page Des ressources). Seules dix estampes sont présentées ici mais, pour chacune, en cinq versions différentes. Pour être tout fait exact, chaque œuvre est représentée par une version dessinée sur calque (considérée comme un original) et est accompagnée de quatre tirages d’épreuves dénommées ici xylographies car réalisées à partir d’une matrice en bois. Lorsqu’une épreuve ou dessin est choisi, la rubrique « oeuvres en rapport » permet de naviguer vers les autres versions. « Corvée de soupe », par exemple, vous amène à la gravure que Bruyer a réalisée en noir et blanc sans retouches. Les autres versions sont « Corvée de soupe », xylographie coloriée à l’aquarelle et au crayon de couleur, « Corvée de soupe », xylographie coloriée au lavis gris et « Corvée de soupe », gravure (bois de fil) en sept couleurs et, enfin, la version originale sur calque.
Pour finir, nous indiquons quelques artistes ou dessins notables : Jean-Jules Dufour jeune peintre graveur témoigne dans ses dessins réalistes de sa difficile expérience de prisonnier dans un camp allemand. Il a relaté cette expérience en 1918 dans un ouvrage intitulé Dans les camps de représailles. Certains dessins prennent comme motifs les corvées humiliantes et les souffrances supportées. On peut citer « La nouvelle crucifixion » ou ce « Supplice du froid » où le prisonnier est exposé immobile au froid avec la neige lui arrivant à mi-jambes (la légende du dessin indique « L’hiver dans les mines, dans les usines, tout prisonnier français qui refuse de travailler est maintenu au garde à vous durant des heures dans le vent froid, dans la neige jusqu’au moment où la douleur le contraint à céder »).
On peut admirer également le très pittoresque « Poilu à la pipe » de Gustave Pierre, les lithographies d’Alphonse Grebel, dont le poignant « Retour de la cote 125 », qui témoignent de son expérience des tranchées, le « Soldat endormi dans les ruines de l’église de Veho » de Pierre-Louis Chaux ou les œuvres d’Armand Coussens qui a réalisé de nombreuses eaux-fortes en couleurs comme ce soldat de la « Classe 15 rejoignant le front » ou cette « Cour d’hôpital » où l’on devine un jeune combattant blessé visité par sa mère. Enfin, Roger Mignon, comme Jean-Jules Dufour, a témoigné de son statut de prisonnier. S’inscrivant dans un registre moins dur que celui choisi par Dufour, il décrit des scènes de vie quotidienne au camp d’Altengrabow en Allemagne et parfois rejoint son compatriote en décrivant les humiliations subies (« Mon camarade F. Dupé attaché au poteau »).
NOTES
1. « Crayons d’enfer ! La collection Lemétais ou la victoire des arts graphiques face à la guerre », Marie-Hélène Montout-Richard in Jours de guerre et de paix, regard franco-allemand sur l’art de 1910 à 1930, ouvrage collectif, catalogue de l’exposition s’étant déroulée du 14 septembre 2014 au 25 janvier 2015 au musée des Beaux-Arts de Reims, Somogy éditions d’art, Paris, 2015
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- / modifié le 13/01/2024