Notes manuscrites sur le dessin (parties illisibles) : 31 août 1914, Bois de Septsarges … de la 9ème escouade…du combat…disparu à la tranchée de Calonne [no 19] – Album Quarante croquis de guerre
Notes manuscrites sur le dessin : 12 avril 1915, Hôpital d’Antibes, Dejean, mon voisin de lit, l’homme à la tête pointue [no 141] – Album Études et croquis, cinquante planches précédées d’un portrait de l’artiste
Femme et soldats, date manuscrite : 22 février1916 – Album Têtes de femmes
Notes manuscrites sur le dessin : 22 novembre 1914, Les Éparges, La lettre à l’épouse [no 67] – Album Etudes et croquis, cinquante planches précédées d’un portrait de l’artiste
Dès le mois d’août 1914, Arthur-Edmond Guillez dessine dans ses carnets les visages de ses camarades de combat accompagnés souvent, d’une écriture mal assurée, de l’inscription de la date et du lieu d’exécution de ses croquis.
L’artiste, qui a alors vingt-neuf ans, dessine fréquemment au cours de cette période alors que son régiment prend position dans la plaine de la Woëvre. D’octobre 1914 à février 1915, il participe, comme agent de liaison, à la terrible bataille des Éparges au sein du 132ème régiment d’infanterie.
En mars 1915, ses dessins témoignent qu’il est convalescent à Gondrecourt dans la Meuse. Il y est soigné pour une fièvre typhoïde. Là, comme à Antibes où il est évacué par la suite, il continue à remplir ses carnets de portraits de soldats. Blessés, souffrants, ceux-ci apparaissent souvent vulnérables et abandonnés sous les traits de son crayon ou de sa plume. Il réalise, au cours de ce printemps 1915 dans les hôpitaux militaires, quelques-uns de ses portraits les plus touchants.
Dans les pages de ses albums où l’on reconnaît la technique du graveur, à côté de ces multiples portraits de soldats, se trouve, par ailleurs, quelques paysages, des portraits de civils et des dessins témoignant des destructions de la guerre.
C’est cette période allant de l’été 1914 jusqu’au début de 1915 qui est principalement représentée dans les Quarante croquis de Guerre.
Recouvrant la santé, Guillez rejoint une section de camouflage en septembre 1915 en tant que chef d’équipe.
Parfois exposées au tir dans leurs missions d’observation ou de mise en place, les sections de camouflage comptent parmi les artistes, les artisans et les autres personnels, de grands blessés (comme André Devambez) et des tués.
En avril 1916, un obus qui éclate blesse Guillez qui est alors écrasé sous la plaque de blindage qu’il transportait. Ses conditions d’évacuation vont favoriser le développement d’une infection pulmonaire qui l’emporte en trois mois à l’hôpital de Châlons-sur-Marne.
Sa famille inconsolable publie en 1917 deux albums de reproductions en fac-similés des dessins de ses carnets : Quarante croquis de guerre présenté ici et préfacé par son ancien professeur à l’École des beaux-arts de Paris (Luc-Olivier Merson) et Têtes de femmes, vingt-deux dessins précédés d’une introduction de Lucien Descaves.
Ce dernier album reprend des portraits de « Lolottes et de Carmens de garnison » fréquentant des « endroits où les soldats désœuvrés vont passer la soirée… » (L. Descaves). En 1926, est paru également Études et croquis, cinquante planches précédées d’un portrait de l’artiste.
Ses dessins originaux et ses œuvres peintes ont fait l’objet de dons successifs de la part de la mère de l’artiste. Ils sont aujourd’hui conservés au Centre Pompidou et au musée des beaux-arts de Valenciennes, ville natale du graveur.
Après la guerre, son corps est rapatrié et rejoint le petit cimetière Saint Vincent à Montmartre. Sur sa tombe, on peut observer un buste le représentant et, sous un bas-relief, ses dernières paroles : « La conscience dans l’Art ».
Trois recueils de reproductions de dessins de l’artiste sont parus à titre posthume à l’initiative de sa famille :
2. Têtes de femmes, vingt-deux dessins précédés d’une introduction de Lucien Descaves (1861-1949), Paris, 1917. Vingt-deux reproductions en couleur contrecollées sur papier fort, album tiré à 300 exemplaires numérotés.
3. A.-E. Guillez, Études et croquis, cinquante planches précédées d’un portrait de l’artiste. Paris, Ed. Henry Goulet, 1926. Cinquante reproductions contrecollées sur papier fort, album tiré à 200 exemplaires numérotés. Les premières pages reproduisent une photo du buste de Guillez sculpté par Alfred-Alphonse Bottiau, un fragment de lettre de l’artiste datant du 5 avril 1915 alors qu’il était en convalescence à Antibes et un autoportrait en jeune homme daté de 1903.
4. Trois maigres lignes sur Guillez dans le Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, d’Emmanuel Bénézit (Gründ, 1999) nous apprennent que le Musée d’Art moderne de Paris conserve treize de ses dessins. Pour avoir plus d’informations, il faut s’orienter vers le Dictionnaire des graveurs, illustrateurs et affichistes (1673-1950) (Éd. Échelle de Jacob, Dijon, 2001) qui fournit une liste des gravures réalisées par l’artiste et présentées aux salons et concours d’avant-guerre.
2. La fiche numérisée de la base des tués de la première Guerre Mondiale au nom de l’artiste est consultable sur le site Mémoire des Hommes.
3. Vingt-neuf clichés de dessins originaux d’A.-E. Guillez conservés dans les musées français sont consultables sur une page du site de l’agence photo de la Réunion des Musées nationaux et du Grand Palais.
LE SOLDAT GUILLEZ
Dans Quarante croquis de guerre, les dessins sont reproduits en fac-similés c’est à dire à l’identique des pages de carnets que l’artiste utilisait sur le front. Des notations manuscrites aident à situer et dater les scènes représentées. Par ailleurs, ces pages ont été numérotées par l’artiste ou sa famille et l’on peut retracer ainsi le parcours du jeune homme depuis les premiers portraits de ses camarades dessinés en août et septembre 1914, alors que son régiment essaie d’empêcher les allemands de passer la Meuse au bois des Septsarges, jusqu’à son séjour en hôpital militaire à Antibes au printemps 1915. Durant cette période, son unité occupe le secteur des Éparges où Guillez dessine la destruction des villages et les traits de ses camarades qui prennent part aux combats1.
DES CARNETS AU FRONT
Ces pages reproduites à l’identique proviennent d’albums emportés au front. Le format des pages, et donc des carnets dont elles sont issues, est modeste ; choix dicté, sans doute, par la volonté de pouvoir les glisser facilement sur soi ou dans son havresac. Il s’agit de dessins souvent datés, localisés et commentés parfois d’une écriture mal assurée. Aucune représentation de combats, d’assauts, de faits de guerre immédiats, comme souvent chez les artistes combattants, mais une attention portée aux regards, aux attitudes, à l’expression d’une complicité qui s’inscrit parfois dans la malice (comme le portrait de « l’ami Pontois », dessin no 6 dans notre galerie « les portraits de soldats » ci-dessus).
On ne perçoit dans cette série de portraits aucune volonté d’héroïsation ou de typisation. Le dessin est classique, cherche la ressemblance, fuit la stylisation. Une des particularités de cette série est que les modèles portraiturés évoquent des protagonistes qui auraient pris le temps de la pose, pendant un moment volontairement offert à l’artiste. Les portraits aboutis réalisés sur le front par des combattants ne sont pas si courants. Surtout en grand nombre comme ici. D’autres artistes combattants ont préféré les scènes de groupes, réfléchi plus patiemment à leur composition, représenté les hommes alors qu’ils dormaient ou jouaient aux cartes (Méheut, Josso…). Guillez documente, identifie et parfois raconte en complément de son dessin le destin du soldat dessiné : « au brave Montuel, gars du Nord, blessé aux Éparges en décembre 14 » (dessin no 5, galerie « les portraits de soldats ») ou encore l’émouvant « à mon ami Roland, mon compagnon d’armes, disparu aux combats de Sept-Sarges le 13 septembre 1914 » (dessin no 11).
Pendant ses séjours en hôpitaux militaires, Guillez ressèrent encore son dessin sur les visages des convalescents. Certains expriment l’apaisement et traduisent le repos du corps s’échappant des affres de la maladie ; d’autres installent un trouble en interrogeant des yeux artiste et spectateur transformés en témoins de leur souffrance ou de leur détresse (no 18 dans la galerie des portraits).
A venir…
Autoportrait en jeune homme, 1903 (Guillez a dix-huit ans) – Album Etudes et croquis, cinquante planches, 1926
Celui qu’on va trépanner, musée de Valenciennes, source RMN