C’est un ouvrage de poche où se côtoient grands noms de la littérature – Cendrars, Drieu, Cocteau, etc. – et poètes plus anonymes dont quelques uns sont morts au combat. Guillaume Picon, à l’origine de cette anthologie, précise dans sa préface la place de la poésie dans l’héritage littéraire de la Grande Guerre : quasi nulle. Très présente en Angleterre et en Allemagne, affaire de goût et de tradition, la poésie de guerre est considérée en France avant tout comme de la non-poésie. Cela est-il vraiment étonnant ? Imprégnée d’esprit cocardier et d’images de héros invincibles ou martyrs, la poésie française de l’époque connut une production volumineuse mais fut peu marquante. Dans cette veine patriotique, on peut lire ici Léon Lahovary ou Henri de Régnier mais cet aspect reste marginal dans ces Poèmes de poilus.
Dominée par la figure imposante d’Apollinaire, l’ouvrage présente de beaux vers signés Paul Eluard (« Vivant dans un village calme / D’où la route part longue et dure / Pour un lieu de sang et de larmes / Nous sommes purs »), Georges Duhamel (et sa belle Ballade de l’homme à la gorge blessée), Henry de Montherlant (et son touchant A un aspirant tué), Charles Vildrac (et sa peinture de l’homme-soldat dans la nature), etc. Le regard est parfois lucide comme celui de Pierre-Jean Jouve (« Il n’y a pas de victoire / Il n’y a que sombre défaite / Le meurtre au milieu du cœur / Les chairs au fond de la terre »). En lisant Lucien Linais, on s’étonne d’images aussi fortes que certains passages des ouvrages de Barbusse ou Dorgelès. Car poésie n’est pas joliesse et les vers de quelques jeunes poètes morts au combat et dont les noms sont aujourd’hui oubliés le rappellent :
Voici l’âpre contrée où l’enfer et le feu
Font, d’un gamin d’hier, la carcasse d’un homme;
Et voici les corbeaux se disputant, furieux,
Cette carcasse encor jusqu’en son dernier somme !
(Gaston de Ruyter, 1917)
ou, encore, la réponse du poète de vingt ans à Maurice Barrès dans une pièce intitulée Debout les morts :
Laissez-les donc dormir en paix,
Ces morts ! Que vous ont-ils donc fait,
Pour être pourchassés dans leur funèbre asile.
(…)
Après s’être damnés pour vos haines civiles,
Avoir sacrifié leur jeunesse et leur sang,
N’ont-ils pas droit que le passant,
A leur trépas compatissant,
Les laisse enfin pourrir tranquilles ?
(Marc Larreguy de Livrieux, 1916)
Auteurs reconnus et anonymes se succédant, on aurait aimé une notice biographique pour chacun d’eux surtout pour que l’hommage aux poètes sortis de l’oubli soit complet.
Guillaume Picon nous invite, par ailleurs, à lire quelques poèmes d’auteurs belges, anglais, allemands, italiens et russes.
Avant de refermer ces Poèmes de poilus emplis de tant d’images de mort et de ruine, on pourra lire le poème d’Anna de Noailles intitulé La jeunesse des morts et dont les lumineux premiers vers rappellent le sacrifice des jeunes gens disparus :
Le printemps appartient à ceux qui lui ressemblent,
Aux corps adolescents animés par l’orgueil,
A ceux dont le plaisir, le rire, le bel œil
Ignorent qu’on vieillit, qu’on regrette et qu’on tremble.
Poèmes de poilus, anthologie dirigée par Guillaume Picon, Points poésie, 2014
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- / modifié le 26/07/2023