Il y a dans la dernière salle de cette exposition la présentation d’une affiche publiée par la Fédération nationale des Poilus d’Orient créée en 1921 : « Les poilus d’Orient furent et demeurent les oubliés de la guerre » témoigne-t-elle.
Ainsi, cette mémoire vacillante portée par le titre même de l’exposition de Marseille était déjà dénoncée au lendemain de la guerre. Comment l’expliquer ? Cette exposition donne quelques clés à travers différents points de vue : repères chronologiques, présentation des nations et des peuples en présence, exposés de la vie quotidienne des combattants et de leurs difficiles conditions de vie, héritage culturel.
Dans les premières salles, c’est l’axe militaire et géopolitique qui a été choisi de façon à dessiner le cadre complexe de l’intervention des alliés en Orient.
En prenant la mesure, en début de visite, du désastre des opérations des Dardanelles et de Gallipoli, le visiteur comprend qu’il s’agissait là d’un bien mauvais départ à l’établissement d’un nouveau front dans les Balkans. Le petit corps expéditionnaire, rembarqué des Dardanelles, est regroupé à Salonique. Jean-Yves Le Naour, commissaire scientifique de l’exposition, rappelle que cette armée compte « Trop peu d’hommes, encore moins de moyens. De plus, c’est une armée internationale sous commandement français où personne ne veut agir (…). Les Anglais sont présents pour ne pas laisser les Français établir seuls leur influence en Méditerranée orientale. »
L’exposition s’articule en cinq parties : Déplacer la guerre ? et S’engager en Orient font l’objet de ces premières salles où le rôle de Marseille est rappelé. Pour de nombreux « Salonicards » – les hommes en partance pour Salonique – l’Orient commence là, dans les rues de la cité phocéenne, port principal vers le front des Balkans, où se côtoient dans des rues grouillantes plus de trente nationalités.
Maquettes, cartes, affiches, objets, photos et films permettent d’appréhender les conditions d’installation de cette armée. Le visiteur réalise les difficultés auxquelles a fait face ce corps expéditionnaire peu organisé. Il a fallu sécuriser, malgré la présence des sous-marins allemands, la voie maritime Marseille-Salonique, construire de nouvelles routes, creuser des puits, organiser le ravitaillement et le cantonnement d’une armée internationale, faire face à l’hostilité des populations locales, à un climat aux températures extrêmes, à des conditions de vie parfois à la limite de l’insalubrité et, en conséquence, à des épidémies dévastatrices…
Les salles suivantes abordent plus avant ces aspects liés à la vie sur place. Elles couvrent les parties Survivre au quotidien et Rencontrer l’Orient. Cet orient, souvent rêvé, évoquant toute une imagerie exotique et sensuelle va se briser, pour beaucoup, face aux réalités des conditions de vie. De grandes tablettes tactiles présentent de nombreuses photos de la vie quotidienne des soldats aux Balkans – travaux de terrassement, problèmes de santé, rapport aux populations, temps du repos…
Pour d’autres, l’Orient reste magique, tel Alphonse Tachoire, lieutenant du génie qui collectionne dessins et aquarelles, Paul Cartoux, qui écrit de très nombreuses cartes postales à sa fille en lui parlant des populations qu’il rencontre ou Paul Jouve qui dessinera, peindra, organisera des expositions d’œuvres sur place, participera activement à l’élaboration d’une revue franco-macédonienne.
Deux vitrines présentent également les équipements d’un médecin et le contenu d’une malle de campagne d’un prêtre aux armées détachés tous deux auprès des soldats d’Orient. Une borne donne accès aux affiches des campagnes d’informations concernant le paludisme mises en place après que les autorités aient réalisé les conséquences produites par ces épidémies.
Une armée qui stagne, qui s’occupe de logistique et de travaux d’infrastructures, qui cultive ses denrées pour lutter contre le scorbut, voilà les éléments qui installent l’incompréhension entre le pays toujours envahi, et donc meurtri, et ces soldats expatriés. Quelques bons mots et une imagerie exotique dans les illustrés ou en cartes postales participent à ce manque de considération. Même l’avancée victorieuse de septembre 1918 vers Budapest ne changera pas cette image qui finalement s’imposera : une armée de jardiniers voire d’embusqués.
Terminer la guerre, dernière partie de l’exposition revient sur le plan militaire à l’offensive décisive et aux opérations menées jusqu’en 1919 et, d’un point de vue géopolitique, à la nouvelle carte de la région en soulignant les conséquence produites par ces changements jusqu’à aujourd’hui. C’est, aussi, à l’issue de l’exposition que les organisateurs ont voulu poser la question de la mémoire de ces soldats : un monument à l’armée d’Orient à Marseille inauguré en 1927, quelques ouvrages après le conflit et un grand oubli par la suite. Ce centenaire est l’occasion unique de raviver cette mémoire. Cette exposition y participe fortement.
1914-1919, le front d’Orient, les soldats oubliés, musée d’Histoire de Marseille, du 14 novembre 2014 au 17 mai 2015
Exposition conçue en collaboration avec Jean-Yves Le Naour, historien, commissaire scientifique, en partenariat avec le Musée de l’Armée, la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine (BDIC), l’Historial de Péronne, le Musée de la Grande Guerre de Meaux, le Musée de l’Empéri, le Musée de la Marine de Toulon, le Musée de l’artillerie de Draguignan, l’Association nationale pour le souvenir des Dardanelles, l’Association pour la recherche et l’archivage de la mémoire arménienne (ARAM), l’Association Ceux du Pharo et des collectionneurs particuliers.
Une brochure accompagne l’exposition retraçant l’histoire des soldats du Front d’Orient.
Le front d’Orient, Serge Truphémus, en collaboration avec Jean-Yves Le Naour, commissaire de l’Exposition. Une brochure précieuse et riche d’informations. A commander ici.
Le saviez-vous ? exemples…
. “L’absence de chemins de fer et le nombre insuffisant de camions nécessitent de s’adapter. L’armée d’Orient doit faire avec ce qu’elle trouve : ânes, mulets, buffles mais leur nombre étant insuffisant, les autorités décident d’importer des chevaux d’Australie.”
. “… et on construit : 900 km de routes de 1915 à 1918 uniquement pour le secteur français – car le réseau est constitué de pistes et de mauvais sentiers qui se transforment en bourbiers au printemps et à l’automne. Pour ce faire, l’armée utilise des milliers d’hommes dont des prisonniers. Ainsi, l’actuel réseau routier de Macédoine a été essentiellement tracé par l’armée d’Orient durant la Première Guerre mondiale.”
. “La prostitution est non seulement tolérée mais encouragée par les autorités militaires. Des quartiers et des rues de l’amour se multiplient comme la rue Boutry à Salonique renommée, par les soldats “le Chemin des Dames”.
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- / modifié le 06/01/2024