Vildrac Doucet xsmall

Cher Peuple et Élégie à H. Doucet, Charles Vildrac

LE POÈTE ET LE PEINTRE

CHER PEUPLE

suivi d’extraits d’ÉLÉGIE À HENRI DOUCET


CHARLES VILDRAC (1882-1971)

Portrait au fusain de Charles Vildrac par André Aaron Bilis

Poète, auteur dramatique à succès et marchand d’art, Charles Vildrac fût très marqué par son expérience de la guerre. “Ces poèmes dont l’écriture sans pathos ni afféteries impose une sonorité frontale, apparaissent sans autre exemple en poésie française à propos de ces temps voués au massacre de masse.” (notice autobiographique, éditions Gallimard)

Cher Peuple, extrait du recueil Chants du désespéré (1914-1920), éd. Gallimard

Ô cher peuple, entends ces bavards :
Ils t’ont depuis peu découvert
À la lueur de l’incendie
Et te décernent un amour
Et une grandeur mesurés
À la longueur de ton martyre.


Ce n’est pas t’admirer que je puis, douloureux frère;
Ma voix n’est pas la voix qui chantera tes plaies,
Tes râles, ton supplice, et ce charnier honteux.


J’ai pitié des troupeaux arrachés aux prairies
Qui entrent dans la ville, harcelés par les chiens,
Les yeux hagards de peur, de faim et de fatigue
Et se bousculent vers la mort ;
Mais je ne saurais pas les accoutrer de gloire.


Frère, hélas! je n’avais pas besoin pour t’aimer
De te voir étendu saignant et mutilé.


Je n’ai pas eu besoin d’attendre que tu sois
Un pauvre mort jeté la face dans la boue
Pour te louer, mon frère, et me louer de toi.

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Dans le même recueil, Vildrac place en 1920 une suite de quatre pièces en vers écrite en hommage à son ami le jeune peintre Henri Doucet1 tué le 5 mars 1915 en Belgique à 31 ans.

Henri Doucet est un artiste issu d’une famille ouvrière de la Vienne2. Très tôt, à treize ans, il entre en apprentissage chez un peintre en bâtiment de sa ville. Mais c’est un garçon qui a d’autres ambitions. Il souhaite dessiner et peindre en tant qu’artiste. Grâce à sa curiosité, sa ténacité et son travail attentif, il entre à l’École des Beaux-Arts de Paris et se forme auprès de maîtres tels que Jean-Paul Laurens et Henri Martin qui se prend d’affection pour lui.

Attiré par le paysage, Monet, Sisley et Renoir sont ses vrais maîtres. Il fait un voyage en Italie et en Sicile et dès 1905 produit ses premières œuvres. Il participe, également à cette époque, à des commandes de décorations théâtrales.

Doucet est attiré par les expériences de collaboration d’artistes vivant parfois en communautés où les idées et les visions artistiques se confrontent. Il participe ainsi à l’Abbaye de Créteil créée en 1907 autour de Georges Duhamel. Il y côtoie Charles Vildrac et son épouse avec qui il entreprend un nouveau voyage en Italie. On peut imaginer ce qui a pu rapprocher le fils d’ouvrier, devenu peintre fréquentant les salons, de Vildrac, fils de communard déporté, poète sensible et auteur de théâtre à succès en devenir.

“Ô peuple, il sort ainsi de toi
Des fils aux yeux avides !


Des siècles d’humbles labeurs
Et d’amour minutieux
Ont amassé dans leur poitrine
Un chant qui déborde et s’élance.”

En 1914, Henri Doucet n’est pas mobilisé car il a été versé dans l’armée auxiliaire pour raison de santé. Pourtant, il fait la demande de rejoindre l’armée d’active sur le front. Il y est tué quelques jours après son arrivée. Il laisse ainsi son épouse enceinte qui mettra au monde une petite fille quelques mois après sa mort3.

Vildrac signe une Élégie à Henri Doucet en quatre poèmes (I, III et IV sans titres, II Châtellereault).

Le premier, le plus long, est celui qui nous intéresse ci après. Il évoque l’extraction modeste du peintre. Vildrac développe l’idée que le besoin impérieux de l’artiste de se détacher de son milieu s’est nourri, d’abord, des espérances et des rêves des générations qui l’ont précédées. Il commence ainsi son poème en soulignant la dureté des conditions de vie du peuple :

“Le peuple est vaste, obscur et incliné,
Incliné toujours,
Sur le labeur et sur la pitance et sur les berceaux.


C’est une forêt drue, basse et puissante
Qui ramène au sol ses rameaux noueux
Où s’accumule une âme qui s’ignore.”

Continuant à utiliser un registre sylvestre, Douc

et lui apparait être une branche élue (…) qui surgit du noir humus et qui tout droit s’élève.

Puis, il met en avant, toujours avec un champs lexical choisi, la valeur du jeune homme et le travail accompli. Doucet est ainsi un frêle ouvrier de quatorze ans si résolu et si appliqué (…) à l’école du soir. Il devient un cœur attentif emprunt de savoir, un esprit sagace, un poète, un peintre.

Du mystère de cet accomplissement, Vildrac fait un trésor :

“Pour accomplir une âme lumineuse entre toutes
Entre toutes plaisante,
Qui sait l’amour qu’il faut
Et les étapes dans la nuit
Et les victoires sur la mort ?
Et qui sait quel trésor, comme un fruit unique
Mûrit depuis toujours en tout enfant qui passe ?”

Dans la deuxième partie de son poème, Vildrac se fait accusateur. Ce trésor, ce fruit unique, cet arbre patient est sacrifié à l’autel de la guerre dans l’ignorance de sa singularité par des trafiquants, des ravageurs qui ne voient qu’effectifs, main-d’œuvre et marchandises.

“Ils nous ont pris, toi, moi, nous tous,
Hommes parqués, matériel humain,
Comme on prendrait la menue-paille
Pour nourrir un feu,
Prodiguant les poignées après les poignées ;”

Cette métaphore du feu nourri par des poignées de paille pour signifier la guerre dévoreuse d’hommes accompagne la fin du poème. Certains, et c’est tant mieux, écrit le poète, ont pu en réchapper. Menue-paille qui glisse entre les doigts ou s’envole. Mais la métaphore permet surtout au poète d’écrire une dernière strophe ou émergent regret et tristesse :

“(…) toi, happé par l’incendie,
Tendre ami, je ne sais pas même
A quel creux du sol calciné
A quel point du désert de cendre
Gît ta cendre frêle.”

La seconde pièce Châtellerault, court poème de cinq strophes, a pour sujet la visite de Vildrac aux parents de Doucet dans leur maison de la Vienne et rapporte quelques scènes touchantes comme les jeux partagés entre la petite fille du peintre, qu’il n’aura donc pas connue, et sa sœur la plus jeune. “Pendant trente ans…” évoque la figure du père ouvrier à la Manufacture d’armes de Châtellerault où ses doigts ajustaient d’innombrables fusils semblables au fusil qui tua son enfant.

La perte de son ami, Vildrac la regrette vivement dans la dernière pièce de cette suite. La victoire, regrette-t-il, n’a rien à faire avec la ripaille ou la bamboula, ni avec la bêtise nationale épanouie. Elle est dans la beauté tendue au monde, dans la façon d’aimer et d’élever la vie, dans son ami vivant mais, hélas tué.


1. Il ne faut pas confondre Henri Auguste Doucet né à Pleumartin dans la Vienne le 16 décembre 1883 et tué à Hooge en Belgique au 32ème R.I le 5 mars 1915 avec le peintre parisien Henri-Lucien Doucet, grand prix de Rome, né en 1856 et mort en 1895.
2. Le site Poilus de la Vienne consacre une page à Henri Doucet.
3. Les éléments biographiques sont tirés de Les Artistes morts pour la patrie (août 1914 – Décembre 1915) de Paul Ginisty, Librairie Félix Alcan, 1916


 

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