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Vu du front, représenter la Grande Guerre

La Bibliothèque de documentation internationale contemporaine et le musée de l’Armée, qui détiennent les fonds les plus importants en dessins, gravures, peintures, estampes et photographies sur la Première Guerre mondiale, proposent cette exposition au musée de l’Armée des Invalides à Paris.

Représenter la Grande Guerre, vaste sujet, qui concerne ici son aspect visuel s’appuyant, parfois, sur des objets mis en scène.

Les peintres officiels missionnés par le ministère de la guerre durant le conflit y tiennent bonne place car c’est l’héritage principal du musée de l’Armée. Certaines œuvres sont très connues mais pouvoir (re)découvrir les œuvres originales est un vrai plaisir. Officiels ne signifie pas académiques : à côté de Flameng, Scott ou Gillot, on retrouve ici Valloton, Dunoyer de Segonzac, Vuillard, Denis qui furent, eux, missionnés par le sous-secrétariat aux Beaux-Arts et, pour certains, impliqués dans la fameuse section de camouflage créée dès 1915. Puis, il y a les artistes mobilisés qui ne lâchèrent pas leur crayon ou leur pinceau en partant au front : Jean Galtier-Boissière qui illustra ses œuvres de dessins sombres et inquiets, Georges Victor-Hugo et ses traits précis à l’encre. Comme l’écrit Aldo Battaglia dans l’article intitulé “Dessiner au front” du catalogue de l’exposition : “Tout dessin est à la fois une œuvre et un document; en ce sens, tout auteur est un artiste dans la mesure où il met sa sensibilité et, s’il y a lieu, son talent au service du message qu’il veut exprimer1.”

Depuis une quinzaine d’années, l’héritage photographique de la Grande Guerre a trouvé la place prépondérante qu’il méritait. Études et ouvrages se multiplient et il est légitime que cette exposition mette en avant un des plus beaux patrimoines détenu sur le sujet. Ceci est fait avec didactisme en présentant, par exemple, les modèles d’appareils photo dont les combattants pouvaient s’équiper et en rappelant que photographier sur le front était, en France pour les combattants, strictement interdit2. Plusieurs photographes amateurs sont mis à l’honneur : Louis Danton, Henri Terrier, Albert Le Play, Paul Pelissard. Certaines de leurs prises de vue avaient fait l’objet de l’ouvrage Photographies de Poilus3.

La diffusion de masse de photographies de guerre par la presse est, alors, une nouveauté. Les illustrations et dessins se font plus rares, la photographie s’impose. D’où la nécessité pour les autorités de contrôler au mieux cette diffusion et de “contrer” la propagande ennemie. Ce sera fait, en partie, par la création de la SPA (Section photographique de l’Armée) début 1915. Les opérateurs de la SPA couvriront tous les fronts et tous les sujets dans le cadre préétabli et officiel qui leur est fixé. Leurs clichés feront l’objet de plusieurs expositions durant le conflit.

L’exposition montre la représentation de la guerre préexistante à 1914 pour souligner les grands changements qui vont s’opérer avec ce conflit. La progression chronologique de salle en salle permet de souligner les éléments clés qui vont marquer cette évolution. Le découpage en quatre sections structure l’approche : quelle culture visuelle de la guerre préexiste à la Grande Guerre (de la tradition militaire à l’avant-garde) ? Quelles images sont produites et diffusées aux premiers jours de 1914 lors de la confrontation avec la réalité de la guerre ? Quelle représentation du combat s’impose face à une guerre qui dure ? Quelle mémoire du front reste vive une fois la guerre passée ? Dessins, peintures, photographies, affiches, l’image règne dans cette exposition. Mais on y voit aussi carnets, albums de photos et des objets surprenants (un fusil périscope) et émouvants comme ce casque Adrian percé présenté en regard de tous les éclats produits par l’explosion d’un obus.

La circulation sur plusieurs niveaux et groupes de salles surprend mais on suppose que le vieux bâtiment impose des contraintes de ce type.

Le catalogue de l’exposition est superbe. Les articles menés par des conservateurs, historiens et universitaires approfondissent les sujets liés à l’exposition : “dessiner au front”, “l’estampe en guerre”, “photographier la guerre en amateur”, “la propagande officielle par l’image”. On y trouve, aussi, un chapitre sur les expositions d’œuvres sur la guerre durant le conflit, un essai (de Stéphane Audoin-Rouzeau) sur l’objet en tant que source pour l’historien et l’histoire de la BDIC et du musée de l’Armée.

Plus de 450 œuvres et documents permettent de comprendre ce que fut la représentation de la Grande Guerre par ses contemporains. Points de vue allemand, britannique, russe… sont ici présents ainsi que tous les fronts du conflit. Un large champ qui confère à cette exposition, soutenue par la mission du Centenaire, une place importante en cette période de commémoration.


1. Catalogue de l’exposition Vu du front, représenter la Grande Guerre, éditions Somogy, Paris 2014. Le catalogue même est précédé de quinze essais dont “Dessiner au front” par Aldo Battaglia, responsable des collections peintures, dessins et estampes à la BDIC.
2. On peut avoir une idée des façons très différentes dont les nations en guerre ont géré cette production importante de photographies amateur dans le beau film Les photographies oubliées de la Grande Guerre de Nick Maddocks (GB, 2014) diffusé fréquemment sur la chaine Histoire.
3. Photographies de poilus, soldats photographes, au cœur de la Grande Guerre, Frédéric Lacaille et Anthony Petiteau, éditions Somogy, 2004.


vu_du_front_afficheVu du front. Représenter la Grande Guerre. Musée de l’armée, 129 Rue de Grenelle, 75007 Paris.
Du mercredi 15 octobre 2014 au dimanche 25 janvier 2015.

 

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