St Quentin, Aisne, août 1917
Nous sommes non seulement isolés du monde, du pays, de la famille, mais encore du reste de l’armée. J’ignore tout de la guerre. J’ignore l’armée à laquelle j’appartiens. J’ignore tout de mon corps, à peu près tout de ma division et de ma brigade, beaucoup de mon régiment, de mon bataillon et même de ma compagnie. Mon groupe est l’escouade ; c’est par escouade que nous occupons et que nous défendons les tranchées. Mais chacun de nous ne vit guère qu’avec une dizaine, une vingtaine de camarades. Dans ces gigantesques armées composées de centaines de milliers de soldats qui luttent dans ces bois, l’homme est aussi isolé que jadis quand il marchait en bande autour d’un totem. Notre isolement paraît presque organisé. On nous a réduit à l’état de cellule guerrière et j’ai l’impression d’une armée émiettée. Nous ne savons rien, pas même le nom du général qui commande notre brigade….