La nuit

P

our avoir partagé, aux jours sans pain de la retraite, les quelques pommes vertes glanées à grand-peine, pour avoir trimé en même temps, marché ensemble, souffert aux mêmes endroits, pour avoir été enterrés par la même mine, enlisés dans la même boue; pour avoir courbé la tête sous les mêmes rafales, pour avoir été souffletés du vent des mêmes marmites, ils ont conçu l'un pour l'autre une amitié profonde (...) On ne les voit jamais l'un sans l'autre. Leurs créneaux sont côte à côte dans la tranchée, en marche les deux hommes marchent au même rang et le plus fatigué passe son fusil à l'autre (...) L'amitié mutuelle les soutient dans leur rude et long effort; comme ces boeufs habitués à porter le même joug, ils se sentent appuyés l'un sur l'autre et souffrent moins de se savoir souffrir ensemble.

Le Périscope,
journal des tranchées, 1916

Les dessins de Pierre Lissac

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